Rencontre avec Samian, rappeur canadien autochtone
Mardi, une rencontre avec Samian, rappeur québecois issu de la première nation Abitibiwinni, était organisée par la Canopée des Sciences, geeks doux dingues version amazonienne, et la Fédération Parikweneh de Guyane qui s’efforce de sauvegarder et de faire vivre la culture du peuple autochtone Palikur en Guyane.
Nous nous sommes garés avec un peu d’avance près de la place des Amandiers à Cayenne. La fusée Ariane 5 avait pris son envol moins d’une heure avant. Un écran géant diffusait les interventions en diverses langues des responsables et ingénieurs qui se félicitaient du succès de leur mission dans l’indifférence générale des promeneurs et des boulistes. La présence de cet écran est certainement le fruit d’une convention quelconque avec le CNES pour montrer que les retombées pour la Guyane des lancements depuis le Centre Spatial Guyanais sont autres que chimiques. Je ne vais pas cracher dans la soupe et je serais ravi d’être invité un jour au spectacle certainement époustouflant du départ d’une fusée.
Le Café de la Gare est un endroit très agréable, frais et coloré. Samian attend son tour au bar. Il ressemble un peu à un Vin Diesel ayant dans le regard la nitescence d’une âme de poète. Il porte la tenue d’un étudiant de campus nord-américain, et son plastron ouvragé vient rappeler ses origines amérindiennes. Les tatouages tribaux sur ses bras complètent son look improbable, reflet d’une personnalité complexe et décomplexée. Il est décalqué par une journée de pirogue précédée d’un passage par Londres et rêve d’un bon café. Mais au Café de la Gare, il n’y a ni gare ni café. On carbure plutôt au punch coco et à la caipi en dansant sur des rythmes de Kompa ou de Kizomba. Un verre d’eau fera l’affaire.
Olivier marnette de la Canopée des Sciences
Olivier Marnette de la Canopée des Sciences présente l’invité et la situation des peuples autochtones au Canada et en Guyane avec la modestie de celui qui ne sait pas tout et la rigueur de celui qui ne se trompe pas. Samian prend la parole, il se lève et transforme la petite piste de danse en scène qu’il arpente de long en large. Il parle un peu de ses expériences artistiques, de son engagement pour défendre les droits des peuples autochtones surtout, de ses premières impressions et rencontres en Guyane et il invite l’assistance à un dialogue direct avec un humour sarcastique qui renvoie définitivement Vin Diesel à ses joutes automobiles. Il parle avec l’aisance d’un conteur qui maîtrise plusieurs langages, charismatique et passionnant, cherchant assez vite à s’informer sur les similitudes entre les difficultés rencontrées par les siens et celles des autochtones de Guyane. Éléonore Johannes dite Kadi prend la parole. Il y a quelques jours j’avais posté une vidéo de son émouvante intervention lors d’un rassemblement de soutien au peuple Waiãpi dont le chef a été assassiné au Brésil. Malencontreusement, en voulant corriger l’omission d’un tilde dans ma publication, j’ai effacé la vidéo et il m’a fallu plusieurs jours et une liaison internet décente pour la remettre sur la toile. Je le lui ai expliqué avant la conférence, son regard s’est adouci et elle s’est assise à nos côtés avec sa fille. Elle dit à Samian qu’il n’y a pas de statut ou de lois spécifiques pour les autochtones de Guyane. Le rappeur a ressenti chez Kadi une force et une colère qui imposent le respect et il exprime sa déférence. Il explique que la loi sur les Indiens, instaurée à la fin du XIXe siècle au Canada est finalement un instrument de tutelle infantilisant et liberticide des peuples autochtones. Il apprend le mot « métropole ». Une jeune femme métis amérindienne se lance dans une démonstration sémantique fort habile sur la portée du mot métropole et sa charge coloniale. Je réfléchirai à deux fois pour nommer l’endroit d’où je viens. Un jeune homme prend ensuite la parole en déclinant les prénoms de son ascendance directe, prénoms ultra Français. Samian lui demande le but de cet exercice. Chez les siens, c’est ainsi que l’on se présente, que l’on signifie qui on est. Finalement il se définit comme un citoyen amazonien et souligne l’incongruité, durant ses voyages en Amérique du sud, d’être considéré comme un citoyen français.
Siméon Ingui Unity Monerville, Claudette Kawakukyenoh et Samian
Au fond de la salle, un homme prend la parole avec douceur et le silence se fait aussitôt. Il s’agit de Christophe Yanuwana Pierre, Vice-Président du Grand Conseil Coutumier, porte-parole de la Jeunesse Autochtone de Guyane mais aussi artiste, réalisateur et acteur. Cela fait longtemps que je l’ai découvert sur internet. Ses prises de position sont puissantes et claires. J’ai rencontré pas mal de militants dans ma vie et je les ai souvent trouvés chiants, étroits d’esprit et animés d’une ferveur parfois trop fiévreuse. Je vous accorde que cette vision un peu caricaturale du militantisme relève d’une appréciation toute personnelle et un rien fataliste. Mais cet homme est différent. Il n’élève jamais le ton et la précision du choix de ses mots est imparable car il se contente de faire passer, sans aucun effet de manche, des vérités implacables sur la situation des siens. Il prévient, il va parler de choses qui fâchent. Il explique l’humiliation permanente des peuples premiers en Guyane, ici sur leurs terres, mais aussi face à l’État français. Il égraine ensuite les noms originels des villes et villages de Guyane qui ont été déformés par les colons français pour baptiser leurs comptoirs. Le jeune homme se considère comme un Kali’na. Il n’a de Français que la langue et une carte d’identité. Il aborde la destruction de la forêt par les orpailleurs illégaux, la spoliation des terres des tribus autochtones, le suicide des jeunes dans les villages.
Je me recroqueville dans mon fauteuil, je me sens blanc, perdu surtout. En l’écoutant je fais appel à mes racines occitanes, diffuses et informelles, pour me rassurer, me rattacher à une identité primitive virtuelle qui m’éloigne au maximum de ce qui peut ressembler à un colon français. Je n’ai jamais eu la moindre passion pour la nation et son drapeau, me considérant avec facilité et sincérité comme un citoyen du monde, mais ce soir je redeviens français et un peu responsable, par ignorance, de ce qui se passe ici.
Yanuwana au rassemblement de soutien aux Waiãpis
Samian est impressionné et pour soulager la tension émotive qui règne dans la salle, il dit avec humour qu’il comprend pourquoi Yanuwana est porte-parole. Tout le monde le sait ici. Yanuwana a pu s’exprimer devant l’ONU et dans pas mal de médias nationaux mais finalement, peu de gens le connaissent encore de l’autre côté de l’atlantique. Il n’a que des mots, en guise d’arme, pour défendre la vie des peuples autochtones de Guyane, et même si à ce niveau-là c’est un tireur d’élite, cela risque de ne pas suffire.
Vous vous demandez certainement pourquoi je raconte cette soirée ici. Tout simplement parce qu’il m’a fallu quarante-huit heures pour digérer tout ce que j’ai entendu. Parce qu’une soirée comme celle-ci, à Paris, je l’aurais fuie, découragé à l’idée de me retrouver au milieu d’une assemblée de bobos bien pensants. Parce que ce soir-là je fus frappé de mutisme. Ma compagne aussi. Avec l’expérience, on sait finalement qu’il est parfois plus intelligent de se taire plutôt que de mal s’exprimer. Je raconte aussi cette expérience parce que dans l’hexagone (j’ai prohibé de mon vocabulaire le mot métropole) peu de gens savent où se trouve la Guyane, que ce territoire lointain évoque le bagne, les fusées et des bestioles patibulaires. Et pourtant, sur cette terre d’Amérique du sud, il y a des autochtones, qui sont aussi des citoyens français, même si c’est contre leur gré, avec les devoirs et les droits que cela induit. J’écris aussi ce texte parce que le 31 juillet, le Ministère de l’Économie et des Finances a octroyé un nouveau permis de recherche minière sur 49,8 km² de terres sur les communes de Regina et Ouanary. Et dire qu’en France il faut plusieurs années pour poser une éolienne dans un champ de betteraves. Je m’exprime aussi parce qu’à quelques kilomètres d’ici le Président brésilien populiste Jair Bolsonaro a initié ce qui va certainement ressembler au génocide des autochtones dans son pays et a permis la déforestation de l’équivalent de la superficie du Luxembourg en Amazonie rien que pour ce mois de juillet. Enfin, 500 militaires, policiers et douaniers font ce qu’ils peuvent, au risque de leur vie, pour enrayer les ravages de l’orpaillage illégal en Guyane qui détruit le cadre de vie des gens de l’intérieur, les empoisonnant au mercure et les exposant à toutes sortes de violence. Ils sont 500 pour surveiller un territoire grand comme le Portugal alors que la Garde Républicaine, probablement aussi en sous-effectif, comporte 2800 militaires et civils pour protéger les hautes autorités de l’État.
Samian
Finalement nous avons passé une très belle soirée, enrichissante, source de nombreuses interrogations à venir sur cette terre où nous avons posé les pieds, avec humilité et respect. Merci à Samian, aux organisateurs, au Café de la Gare et à tous les participants.
Samian au Café de la Gare
Clip La Terre a des Maux par Samian
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