Il existe un moment fatidique que tous ceux qui ont décidé de s’installer en Guyane ont maintes fois tenté d’imaginer : leur arrivée.
Tout le monde a mentalement anticipé cet instant de la sortie de l’aéroport Félix Éboué, la sensation de la chaleur humide, les premières perceptions de l’environnement, les craintes de la déception, l’arrivée d’étranges insectes se jetant sur vous avec le désir gastronomique de dévorer un mets exotique fraîchement importé. L’imaginaire se nourrit d’un cocktail alambiqué de réalité vécue et de mythes véhiculés par les forums, les reportages chocs de W9 et les déambulations forestières des documentaires du National Geographic.
Il sera temps, quand vous attacherez votre ceinture pour descendre sur la côte sud-américaine, de vous évertuer à deviner par le hublot le littoral brésilien. Si le temps est clément, vous aurez votre première vision réelle de la forêt amazonienne qui se déroule à l’infini comme un tapis de brocolis géants.
L’avion touchera enfin le sol guyanais, faisant naître un petit sourire naïf sur votre visage, celui d’un aventurier qui arrive à destination, en douceur, après un périple de 7000 kilomètres à ingurgiter alternativement des collations et des blockbusters américains. La piste est entourée par la forêt, comme une île artificielle de bitume perdue dans un océan vert. Vous récupérerez votre bagage de cabine en arborant l’attitude de ceux qui savent où ils vont, pour rejeter un peu plus loin l’anxiété du premier rendez-vous et laisser place à l’excitation naissante. À bord, personne ne panique et tout le monde descend tranquillement de l’avion en saluant les navigants. Étrange attitude pour des gens qui s’apprêtent à fouler le sol d’une contrée que l’on nomme insidieusement l’enfer vert.
Dans la passerelle, vous sentirez les premières bouffées de chaleur qui passent par les interstices des articulations. Vous aurez la satisfaction d’avoir prévu quelque chose de juste, de vous dire que vous le saviez, qu’il fait chaud en Guyane. Ensuite, les bagages apparaîtront rapidement parce qu’ici il n’y a que deux vols par jour qui arrivent depuis Paris et qu’on est très loin de l’agitation anarchique du terminal 4 d’Orly. Vous passerez la douane en un clin d’œil en essayant de vous départir un instant de votre sourire un peu niais qui pourrait vous rendre suspect. Le loueur de voiture vous accueillera avec chaleur vous initiant progressivement à vivre dans cette partie de France aimable où l’attitude distante et renfrognée n’est pas la norme.
Vous serez dehors, enfin. C’est la fin d’après-midi et la chaleur est douce et humide, ventilée légèrement par le souffle des alizés. Quelle surprise ! On respire normalement, c’est même agréable. Vous sentirez pour la première fois l’odeur de la nature, douceâtre et agréable, comme celle d’une cave à vin ou d’un bouchon sortant à peine d’une bouteille de grand cru bourguignon. Prenez le temps de profiter de cette sensation car elle disparaîtra probablement avec le temps, votre cerveau renonçant progressivement à prendre en compte ce qui deviendra une constante. Peut-être aurez-vous le privilège d’expérimenter votre première averse guyanaise qui vous baptisera de la tête aux pieds déclenchant un fou rire irrépressible, réaction salutaire à la surprise et l’incompréhension. Vous apercevrez probablement des nuages gigantesques qui flottent dans le ciel de fin de journée. Enfin sur le parking vous aurez peut-être la surprise de rencontrer un petit gecko qui s’évertue à faire le tour du rétroviseur de votre voiture de location. Vous sortirez votre smartphone pour le mitrailler en regardant sur le côté s’il n’y a pas de témoins de votre attitude un peu surréaliste. Sur la route il y aura la nature, puissante, imposante, émouvante.
Bienvenue en Guyane !
Survol de la la forêt amazonienne avant l’atterrissage